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Mensuel Octobre 2010 Rubrique : Idées / Entretien
Par Marie Peronnau
Le métissage des cultures enrichit mon entreprise
Aujourd'hui à la tête d'un fleuron du BTP, ce fils du désert a dû batailler ferme pour s'imposer. De ce parcours exemplaire, il a tiré une sagesse à toute épreuve. a rage de surmonter les obstacles, Mohed Altrad l'a depuis son enfance Orphelin de mère, rejeté par son père et sa tribu, ce fils de Bédouin a très tôt vu dans les études l'issue qu'il cherchait. Et n'a eu dès lors qu'une idée en tête apprendre et devenir le meilleur. Parcourant chaque jour des kilomètres dans le désert pour joindre son école, il est repère par son instituteur et décroche une bourse d'études en France, dont il ne connaît ni la langue ni les coutumes. Devenu ingénieur chez Alcatel,Thomson, puis dans une compagnie pétrolière, le jeune homme finit par se mettre a son compte en créant une société informatique. Après I'avoir revendue a Matra, il racheté une PME en faillite basée dans l'Hérault. En vingt cinq ans, il en fait une multinationale, numéro 1 mondial des bétonnières et leader européen des échafaudages. Et comme cela ne lui suffit pas, ce créateur multiforme se lance aussi dans I écriture en publiant deux romans chez Actes Sud «Badawi» et «l'Hypothèse de Dieu» Un troisième est en préparation. Management : Vous avez grandi dans le désert. Que reste-t-il de bédouin dans votre pratique des affaires ? Mohed Altrad : Je conserve une part orientale, a laquelle s'associe une certaine sagesse, une distance par rapport aux choses, un peu de fatalisme. Enfant, j'ai appris a me satisfaire de peu de chose. Ainsi certains des attributs classiques du PDG, comme une assistante personnelle, ne m'intéressent pas pour moi, c'est tout simplement inutile ! Dans votre roman «Badawi» (qui siqnifie Bédouin), vous expliquez avoir souvent eu recours à la ruse héritée de vos ancêtres. Une qualité utile dans le monde des affaires... M.A. : J'ai l'impression que plusieurs siècles séparent mon enfance de ma vie d'étudiant en France. Je suis passé directement de l'univers d'Abraham, au milieu du sable et des chèvres, à la vie occidentale. La qualité de vie est bien supérieure en France, mais cela fut très dur. J'ai dû apprendre votre langue, me faire à la nourriture, au climat et supporter
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le regard des autres, pas toujours bienveillant. La ruse m'a aidé à me faire accepter et à me fondre dans des environnements hostiles. Par ruse, j'entends une capacité d'observation, mais surtout une forme d'agilité qui permet de s'adapter a des contextes divers. Cette agilité, je I'ai aussi voulue pour mon groupe. Pouvez-vous donner un exemple ? M.A. : Comme tout le monde, nous avons subi la crise économique. Cela s'est traduit par une baisse du chiffre d'affaires de 100 millions d'euros sur I exercice 2008-2009. Mais nous n'avons pas perdu d'argent et ne nous sommes pas endettés, car nous jouons d'abord sur la masse salariale. Pas en délocalisant, mais en faisant en sorte que celle-ci soit ajustable : toutes les rémunérations (de celle de l'ouvrier à celle du cadre dirigeant) comportent une part variable indexée sur la productivité de l'entreprise et ses résultats. Quant aux coûts fixes, notre politique consiste à amortir nos biens très vite. Cette pratique vient peut-être, là aussi, de ma culture du désert : un Bédouin a des besoins réduits, il n'a qu'une tente et un vêtement, ce qui lui permet d'avancer plus facilement. Vous croyez au rôle social de l'entreprise. Comment cette conviction se manifeste-t-elle chez Altrad ? M.A. : L'argent n'est pas mon moteur. Si une entreprise doit faire des profits et être rentable, elle est avant tout faite par et pour des hommes et des femmes. Ma responsabilité est de répondre aux besoins fondamentaux des salariés : une rémunération décente, une fonction valorisante, des perspectives stimulantes. Quand nous rachetons des sociétés, nous veillons aussi à ce que toutes les équipes restent en place. «Immigré, j'ai longtemps affronté la suspicion» Le groupe a effectué une quarantaine d'acquisitions depuis 1997 à travers le monde entier. Comment donner une unité à un tel ensemble ? M.A. : Le métier d'Altrad, c'est l'amalgame ou l'art d'assembler des composants hétérogènes ! La première chose à faire est de ne pas nier l'histoire de l'entreprise rachetée et de respecter sa personnalité, ce qui vous a séduit chez elle. Nous gardons ainsi toujours son nom, auquel nous ajoutons celui d'Altrad. Il faut aussi détecter et préserver les pratiques qui font sa valeur ajoutée. Sa façon de traiter les clients, par exemple. Nous allons même plus loin en faisant jouer la subsidiarité au sein du groupe : on prend ce qui est bon dans un pays pour le généraliser à l'ensemble des sociétés. C'est un principe inscrit dans notre Charte des différences culturelles et du management international. La dimension plurielle du groupe n'est pas une richesse en soi. C'est à nous d'en faire une richesse en tirant le meilleur parti de toutes les cultures. De quelle manière, votre expérience d'immigré vous aide-t-elle à gérer les différences au sein du groupe ? Mohed Altrad : Elle m'aide à me mettre à la place de l'autre. Je sais par exemple combien il est difficile d'apprendre une langue. Ce fut une vraie souffrance, même si aujourd'hui je suis ravi d'écrire en français. C'est pourquoi je n'impose aucune langue de travail à mes collaborateurs. Je suis également bien placé pour savoir que formuler des idées en public peut être une épreuve, surtout dans une langue étrangère. Lors des séminaires trimestriels qui réunissent les dirigeants de nos sociétés, chacun
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parle sa langue et bénéficie d'une traduction simultanée. C'est aussi une manière de respecter l'autre. Vous faites partie du Club XXIe siècle, qui a pour vocationde mettre en avant les réussites de Français d'origine étrangère et de favoriser l'intégration. Très concrètement, quelle est votre contribution? M.A. : Je me rends dans des collèges et des lycées, à la rencontre de jeunes en difficulté, qui se sentent souvent mis à l'écart. Et c'est vrai qu'il n'est pas évidentde réussir quand on est immigré. Lorsque j'ai monté ma société, mes bilans étaient regardés avec suspicion ! Quant à emprunter de l'argent, il ne fallait même pas y songer. Mais ces jeunes peuvent tirer plusieurs enseignements de mon histoire : il faut savoir positiver, tirer profit des situations difficiles et surtout beaucoup travailler. Toute ma vie, j'ai énormément travaillé pour rattraper mon retard, apprendre le français... Je souhaite donner aux jeunes l'envie d'affronter la vie mais en leur précisant bien que sans travail et ténacité ils n'y arriveront pas. Malgré les obstacles, ils doivent jouer leur partition et prendre leurs responsabilités. Retrouvez Management sur : www.capital.fr/le-magazine/management/magazine-n-179
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